Stendhal

СОДЕРЖАНИЕ: Это черновик курсовой по творчеству великого фрацузского писателя Стендаля. STENDHAL Ses romans sont presque tous autobiographiques (mais en est-il qui ne le sont pas?). Cest, pour Stendhal, lidйal qui fournit la jauge а laquelle doit se mesurer le rйel; cet idйal cristallisй par Napolйon а qui Julien Sorel voue une vйritable passion.Quoi! nest-ce que зa? est une exclamation а la fois propre а Stendhalet qui tйmoigne

Ses romans sont presque tous autobiographiques (mais en est-il qui ne le sont pas?). Cest, pour Stendhal, lidal qui fournit la jauge laquelle doit se mesurer le rel; cet idal cristallis par Napolon qui Julien Sorel voue une vritable passion.Quoi! nest-ce que a? est une exclamation la fois propre Stendhalet qui tmoigne a contrario de la prgnance de lidal chez lhumain.Balzac avait not le ton sec et sarcastique de S., alors mme quil le faisait rire en lui contant une histoire italienne

Le Rouge et le noir (1830)
Les batailles et les victoires, que remporte Julien en amour avec Mme de Rnal, suffiront-elles lui faire oublier les rves et la gloire personnifis par Napolon, dont il cache le portrait sous son lit?

On ne comprendra rien lre napolonienne si lon passe sous silence lenthousiasme des jeunes gens qui voyaient se raliser sous leurs yeux et avec leurs bras le rve rvolutionnaire de 1789: les trnes abattus, lancien rgime et ses privilges dtruits, la nouvelle socit base sur la raison et les droits bauche. Cest ainsi quil faut comprendre que le patriote exagr que fut le jeune Beyle entra totalement dans lorbite de Napolon, comme en tmoigne, entre autres le dbut de la Chartreuse de Parme ; cest ce que dcrit avec tant dloquence Michelet qui a pu crire des armes rvolutionnaires que la poussire des chemins se soulevait lavance sur leur passage; cest pourquoi le philosophe Hegel, assistant lentre de Napolon Ulm, dit avoir vu passer lesprit du monde cheval ; cest ce qui poussa une certaine famille de ngociants de Livourne collaborer avec larme de la Grande Nation commande par Bonaparte en 1796-1797; cest ce quattestent les nobles dernires paroles prtes par Venant-Denon au gnral Dessaix, Marengo: Allez dire au premier consul que je meurs avec le regret de navoir pas fait assez pour la postrit.

La legende napoleonienne s’inscrit dans un contexte naissant du XIXeme siecle qu’est le romantisme. Nous retrouvons dans Le Rouge et le Noir de Stendhal cette generation perdue, marquee par Julien Sorel et a la recherche d’un ideal incorpore par Napoleon. Les ames romantiques y decouvrent l’exaltation, la grandeur, la puissance, le genie, … Evidemment, le Memorial de Sainte-Helene ne laisse qu’une l’image d’un heros romantique. Mais Las Cases n’est pas le seul a entretenir cette legende. Des artistes, des chansonniers, des ecrivains comme Jean Tulard ou les generaux Montholon et Gourmand publient des chansons ou livres qui glorifient les exploits de cet Empereur dechu (Memoires pour servir a l’histoire de France) ; d’autres le critiquent pour son despotisme et son imperialisme (Jacques Bainville, Charles Maurras ou Leon Daudet).

dune part lopposition du roman realiste au roman romantique , cette opposition se realisant par rejet et denigrement du roman romanesque, a leau de rose , etc.. (voir par ex. Emma Bovary et ses lectures de jeunesse, voir aussi le personnage de Julien Sorel qui monte a lassaut de Mathilde, les poches bourrees de revolvers comme si on lui tendait une embuscade....

dautre part, ce rejet du roman romanesque par les lecteurs pour la raison que le roman romanesque nest quun jeu qui na rien a voir avec la realite. [voir a ce sujet lopposition entre Julien Sorel dans Le Rouge et Le Noir et son pere au debut du livre, lorsque nous decouvrons Julien pour la premiere fois ]. Ce rejet, peut etre percu dans la dimension pejorative dexpressions habituelles utilisant le terme de roman : tout ca cest du roman ou la vie est un roman. On prefere ce qui est vrai a ce qui est invente : il faut donc que le roman, sil veut conserver son public fasse vrai. Il est singulier que Stendhal passe encore aujourdhui dans certains milieux pour lavocat de Tartuffe a cause du Rouge et Noir.

Julien Sorel ou
la chronique dun hypocrite

Le Rouge et le Noir, un roman de Stendhal (1830) En prt au Centre culturel franais.



Cest un roman crit dans la premire partie du XIXme sicle, inspir de deux faits divers. Premirement, laffaire Lafargue : un ouvrier tombe amoureux dune femme marie. Mais celle-ci veut rompre. Lafargue se venge en la tuant. Deuximement, laffaire Berthet. Ce fils de marchal-ferrant est admis au sminaire de Grenoble (la ville natale de Stendhal). Mais, trs malade, le jeune homme est oblig dinterrompre ses tudes et devient prcepteur dans une famille riche. Il est alors accus davoir une liaison avec la matresse de maison. Renvoy, Berthet reprend du service dans la maison voisine o il est souponn de sduire la mre de ses lves. Perscute par son ancienne matresse qui ne supporte pas davoir t si facilement remplace, le jeune Berthet se venge et lui tire dessus. Il est ensuite condamn mort.



Complexe dinfriorit

Les traits principaux de la pauvre vie de Julien Sorel, le hros du roman, sont un mlange de ces deux histoires. Pas trs imaginatif, le pre Stendhal qui sest content de dpouiller les chiens crass. Mais grce son style souple et prvenant -il nhsite pas sinquiter de lennui du lecteur-, il est vite pardonn.

Julien est fils de charpentier. Mais il est chtif et adore la lecture, deux dfauts impardonnables pour russir dans le mtier de son pre. Que peut-il faire alors ? Sil tait n plus tt, il aurait pu servir dans larme de Napolon, «lhomme providentiel» que Dieu a envoy pour sauver le peuple, et shabiller de rouge. Mais il est trop tard. Dtermin faire carrire tout prix, il choisit la religion et lhabit noir. Il apprend par cur toute la Bible en latin et devient un phnomne, un miracle. Julien Sorel gravit alors les chelons de la socit et se retrouve prcepteur chez M. de Rnal. Peu de temps aprs, il a une liaison avec la femme de son patron. Dcouvert, il quitte son emploi et se met ensuite au service de M. de la Mole. Sorel dcouvre le milieu de lancienne noblesse parisienne et lamour de Mathilde, la fille de son bienfaiteur. Cest le mariage mais Mme de Rnal vient compromettre cette relation. Harcel, Julien tente de la tuer dans une glise de deux coups de pistolet, puis il est guillotin. Fin sans gloire dun ambitieux...

Julien Sorel est le hros stendhalien par excellence, tortur par ses contradictions. Il sduit dj deux femmes de natures tout fait distinctes. Lune voit dans le jeune prcepteur son fils an. Lautre est hautaine et orgueilleuse. Mathilde vit encore dans le pass et recherche en Julien son aeul Boniface de la Mole, lamant de la reine Marguerite de Navarre, un matre tyrannique. De son ct, Julien ne pense qu lui. Aimer Mme de Rnal ou Melle de la Mole nest quun prtexte afin de faire ses preuves dans cette haute socit et anantir son complexe dinfriorit. Peur dtre mal trait, peur surtout de paratre ridicule. Julien scrute, examine, analyse les moindres faits et gestes de ses conqutes : Mme de Rnal retire sa main de la sienne. Ne serait-ce pas l une marque de mpris ? Paralys par lobsession de son rang, Sorel ne parvient pas prouver de lamour. Dans lme de ce jeune homme du peuple, les sentiments se brouillent.

Le Rouge et le Noir est une uvre attirante. Son titre dabord fascine par la nettet des couleurs. Le rouge, symbole dun rve militaire, peut-tre le sang de Mme de Rnal rpandu sur le sol de lglise. Le noir, choisi par le hros pour faire carrire en se servant de la religion, peut-tre aussi le deuil que porte Mathilde la mort de son mari.

Par ailleurs, dans cette socit machiavlique, lhypocrisie nest point un dfaut. Au contraire, elle est justifie, un avantage mme dans un monde livr aux vices, o on ne trouve personne admirer ou respecter. Julien est lun de ces hypocrites qui se sert des gens comme de ponts pour franchir les paliers de la hirarchie sociale et raliser ses rves. En fait, Stendhal nous propose une chronique du XIXme sicle, dune gnration de jeunes gens dont Sorel est le reprsentant. Mais au-del de lespace du roman, il est aussi le miroir dune jeunesse actuelle qui rve, comme Julien sublime Napolon, de vivre dautres temps plus hroques.

Nissrine A. Sheikh

Le Rouge et le Noir raconte l’histoire de Julien Sorel , jeune homme admirateur de Napolon qui hsite entre une carrire ecclsiastique ou militaire , qui a du succs auprs des femmes , et qui , parti d’une situation difficile arrive petit petit une respectable situation , malheureusement la fin du livre il dcde.

Dans ce roman , travers le hros , Stendhal fait l’loge de Napolon Bonaparte . Julien Sorel , ds son plus jeune ge ( ‘‘Ds sa premire enfance , la vue de certains dragons du 6e , aux longs manteaux blancs et la tte couverte de casques aux longs crins noirs , qui venaient d’Italie et que Julien vit attacher leurs chevaux la fentre grille de son pre , le rendit fou de l’tat militaire . Plus tard , il coutait avec transport les rcits des batailles du pont de Lodi , d’arcole , de Rivoli...’’) , admire l’Empereur et rendu un ge de rflexion il regrette son dpart (‘‘Depuis la chute de Napolon , toute apparence de galanterie est svrement bannie des moeurs de la province’’, ‘‘Quand la prsence continue du danger a t remplace par les plaintes de la civilisation moderne , leur race (des mes hroques) a disparu du monde .’’ ‘‘Ah ! s’cria-t-il (Julien)que Napolon tait bien l’homme envoy de Dieu pour les jeunes Franais ! Qui le remplacera ? Que feront sans lui les malheureux , mme plus riches que moi , qui ont juste les quelques cus qu’il faut pour se procurer une bonne ducation , et pas assez d’argent pour acheter un homme vingt ans et se pousser dans une carrire ! Quoi qu’on fasse , ajouta-t-il avec un profond soupir , ce souvenir nous empchera d’tre heureux !’’)

Et le rve de Julien Sorel est de succder son hros (‘‘Son bonheur n’eut plus de bornes lorsque , passant prs du vieux rempart , le bruit de la petite pice du canon fit sauter son cheval hors du rang . Par un grand hasard , il ne tomba pas ; de ce moment il se senti un hros . Il tait officier d’ordonnance de Napolon et chargeait une batterie .’’)

Si vous avez rat le roman

Stendhal ne sculptait pas ses romans dans le marbre. Il crivait vite, trs vite, pour capter la vitesse de la vie, saisir son poque. La trame du roman est dailleurs tire dun fait divers qui agita llsre en 1827. Son hros Julien Sorel est un jeune homme pauvre et dou qui, dans la France ultra et bigote de la Restauration, ne peut sortir de sa condition que par la prtrise et les femmes, car Julien est beau garon. Il nest pas Rastignac, trop imptueux pour cela. Ni Don Juan. Ce sont les femmes qui le choisissent.

Dabord, madame de Rnal, la provinciale, pouse du maire de Verrires, la petite ville o Julien est n, qui la engag comme prcepteur des enfants. Puis Mathilde de La Mole, la Parisienne, enfant gte et fanstasque du marquis de La Mole, un pair du royaume dont Julien est devenu le secrtaire. Alors quil est sur le point dpouser la jeune fille, il prend connaissance de la lettre, toute de venin, que madame de Rnal a envoye son futur beau-pre, le marquis. Il dcide de la tuer. Julien, comme tous les hros de Stendhal, ne mourra pas dans son lit.

Un grand crivain appartient tout le monde et

Stendhal est de ce point de vue un crivain singulier, pour employer un qualificatif quil affectionne, au point quon le trouve parfois plusieurs reprises dans la mme page de lun de ses romans et des centaines de fois dans son oeuvre.

Singulier dabord parce quil a t peu lu de son vivant, mme sil a suscit ladmiration de Balzac et de Goethe, ce qui ntait pas rien. Lui-mme pensait quil serait lu plus tard, en 1880, en 1930... et il avait vu clair. Il est aujourdhui considr dans le monde comme un des plus grands crivains de tous les temps, si son temps la ignor.

Mais il na jamais cess de susciter des sentiments divers et sil veille chez les uns une sympathie pour des raisons parfois contradictoires, dautres au seul bruit de son nom dbordent dindignation et dinjures.

Ainsi Claudel, vous le savez, qui voyait encore en lui un pachyderme, un pais philistin et se conentait de le classer dans le nombre des rats et des refouls de lamour.

En ce qui me concerne ce que je trouve singulier chez ce grand crivain, ce que jaime en lui, cest justement quil est un personnage contrast, limage de la vie elle-mme. Certains de ses dtracteurs - et amis quelquefois - ont beau jeu de dire quil a tenu sur tel personnage ou tel vment historique des propos contradictoires mais, jy reviendrai, il me semble au contraire quau-del de ces contradictions, quil se situe, lucidement, dans le sens du devenir historique et quil porte un jugement perspicace sur la socit de son temps. Sil ne se refuse pas voir les contradictions, y compris les siennes propres, il reste ancr sur lessentiel. Ce qui le conduit jeter un regard svre sur lpoque de la Restauration et de la monarchie de Juillet, en restant fidle ses premires amours jacobines.

Il est singulier que Stendhal passe encore aujourdhui dans certains milieux pour lavocat de Tartuffe cause du Rouge et Noir.

Ds son enfance au contraire, le jeune Beyle se rvolte devant toutes les manifestations dhypocrisie. Et la fin de sa vie, il remarque dans Henri Brulard : La socit prolonge avec un hypocrite me donne un commencement de mal de mer.

Toute son oeuvre sera marque par ce sentiment.

Il y a dabord laspect littraire du problme, la question du style : on sait comment lhorreur de lemphase le conduit prendre le Code civil pour modle - du moins lassure-t-il - et comment il faillit, dit-il, se battre en duel cause de la cime indtermine des forts de Chateaubriand, qui trouvait des admirateurs dans son rgiment.

Le style de M. de Chateaubriand et de M. Villemain me semble dire : 1. beaucoup de petites choses agrables mais inutiles dire... 2. beaucoup de petites faussets agrables entendre.

On sait aussi comment, pour protester contre lenseignement que lui dispense le jsuite Raillane, il se rfugie avec passion dans ltude des mathmatiques, o, pense-t-il, lhypocrisie nest pas possible. Ces chres mathmatique dont, faisant beaucoup plus tard le bilan de sa vie, il pouvait dire encore dans La Vie dHenri Brulard : Jaimais et jaime encore les mathmatiques comme nadmettant pas lhypocrisie et le vague, mes deux btes daversion.

Paul Valry a raison de remarquer : Suprmement sensible lhypocrisie, il flaire cent lieues, dans lespace social, la simulation et la dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel tait ferme et presque constitutionnelle.

Mais ce nest l encore quune approche de la question. Pendant longtemps, son journal en fait foi, Stendhal a t hant par le Tartuffe de Molire. Dans Le Rouge et le Noir, il sattaque lui-mme au coeur du problme et nous fait comprendre admirablement quil ne sagit pas en loccurrence de psychologie individuelle, ni encore moins de mtaphysique, mais en dernire analyse de politique.

Car le vritable accus dans Le Rouge et le Noir, ce nest pas Julien, mais la socit. Et non pas la socit en gnral donne une fois pour toutes, mais celle que connat Stendhal et dont il dmonte les rouages avec une prcision dhorloger.

La rvolte de Stendhal est historiquement date. Que nous montre en effet Le Rouge et le Noir ? Que, dans une socit soumise la tyrannie dune classe dominante (et lauteur dcrit trs concrtement comment sexerce, sous la Restauration, cette domination des nobles et de la Congrgation), celui que le sort a fait natre dans une classe dite infrieure na le choix quentre lhypocrisie et la rvolte. Et Le Rouge et le Noir, ct Julien, est rvolte et non pas hypocrisie;

La morale, cest tout ce qui est utile la caste privilgie. Lhypocrisie nest pas dans ce cas le fait de lindividu. Elle est partout, elle est la condition mme du bon fonctionnement du systme social. Cest la socit qui limpose lindividu, et celui-ci na pas le choix, il est contraint daccepter la rgle du jeu, de feindre dtre dupe sil ne veut pas tre rejet et condamn. Car mentir nest-il pas la seule ressource des esclaves ?

Lgotisme dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle nest au fond que laspiration de lindividu se librer de cette gangue sociale, qui lempche de spanouir.

A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de sexcuser davoir recours au mot et la chose comme sil tait inconvenant de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet accs de modestie littraire laquelle il nous convie sans beaucoup y croire.

Ce qui est vrai cest que lgotisme nest ni exemplaire ni valable en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singulire, circonstancielle et se mesure la qualit de celui qui le pratique. M. de Chateaubriand peut apparatre, cest Stendhal lui-mme qui le dit, comme le roi des gotistes, il opre cependant sur un autre registre que lauteur du Rouge et Noir, qui remarque : Je suis comme une femme honnte qui se ferait fille : jai besoin de vaincre chaque instant cette pudeur dhonnte homme qui a horreur de parler de soi.

Lgotisme cest la rsistance une socit injuste, avec les moyens du bord. Cest la revendication dtre soi-mme face des contraintes extrieures juges inacceptables. Do lexaltation permanente du naturel qui soppose la vanit, comme ltre soppose au paratre. Le naturel cest la sincrit, la passion, le mpris des faux-semblants et des convenances, le refus daccepter la rgle dun jeu social fond sur le mensonge. Ce nest donc pas de lgosme et ce nest pas seulement la volont de se faire, suivant le mot de Valry, linsulaire de lIle Moi car Stendhal et ses hros professent une morale qui est, comme toute morale, une rgle de la vie en socit : celle de lutilit.

Lgotisme est une raction dautodfense de lindividu cette poque prcisment - celle de la Restauration et de la monarchie de Juillet - contre les sentiments bas, les ambitions subalternes, lamour de largent, lintolrance et larbitraire du despotisme : Tout ce qui tait tyrannie, crit Stendhal, me rvoltait et je naimais pas le pouvoir.

Cette aspiration la libert dpasse le niveau de la revendication individualiste. Elle est porteuse dun espoir plus vaste qui rconcilierait lhomme rvolt avec la socit. Mais cet espoir est exclu dans un systme fond sur le mensonge et lobscurantisme. Quil sagisse de lItalie fodale, de la France de la Restauration, ou de la monarchie de Juillet, partout cest lhypocrisie qui fait loi. Quel est le leitmotiv de lenseignement dispens par la Congrgation sous Charles X : Ce sont les livres qui ont perdu la France. Quelle est la philosophie en honneur dans les classes dirigeantes Parme ? Le marquis del Dongo professait une haine vigoureuse pour les Lumires : ce sont les ides, disait-il, qui ont perdu lItalie. Quel est le conseil donn Fabrice par le bon abb Blans (dtest par le marquis parce quil raisonne trop pour un homme de si bas tage) : Si tu ne deviens pas hypocrite, lui disait-il, peut-tre tu seras un homme. Quelle est la rgle de conduite imprative dans le noble salon de lhtel de La Mole o Julien, qui fait ses premiers pas dhomme introduit dans le monde, saperoit que la moindre ide vive semblait une grossiret ? Stendhal nous rsume cette rgle non crite en paraphrasant Beaumarchais : Pourvu quon ne plaisantt ni de Dieu, ni des prtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes protgs par la cour, ni de tout ce qui est tabli, pourvu quon ne dt de bien ni de Branger, ni des journaux de lopposition, ni de Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de franc-parler, pourvu surtout quon ne parlt jamais de politique, on pouvait librement raisonner de tout.

Pour Stendhal, le pouvoir engendre invitablement la courtisanerie et il crit joliment : Le chevalier bgayait un peu parce quil avait lhonneur de voir souvent un chevalier qui avait ce dfaut.

Mais cest peut-tre le personnage de Lamiel - sorte de double fminin de Julien Sorel - qui manifeste avec le plus dclat son dgot de limposture et son refus dtre dupe des fausses apparences : Le premier sentiment de Lamiel la vue dune vertu tait de croire une hypocrisie. Elle pousse mme jusqu labsurde cette volont dtre sincre pour sa part, quoi quil en cote, et dtre aime en retour pour elle-mme et non seulement pour sa beaut.

Cest le singulier pisode du vert de houx lorsquelle frotte une de ses joues avec ce produit pharmaceutique qui a la proprit denlaidir momentanment les plus charmants visages. Elle veut vrifier si le jeune duc qui est amoureux delle rsistera cette preuve. Estimant que lamour vritable ne peut se contenter de lapparence, elle entreprend ce jeu singulier, un peu comme cette hrone de lAstre qui se dchire le visage avec son diamant pour sassurer quelle est rellement aime. Telle est lexigence absolue de la passion selon Stendhal. Telle aussi la mfiance profonde de ses hros lgard de ce qui leur parat mensonge, truquage, hypocrisie dans cet ignoble bal masqu quon appelle le monde (Lucien Leuwen, cap. 17).

Aprs avoir dcouvert que le monde - la socit de la Restauration et de la monarchie de Juillet - est un ignoble bal masqu, aprs avoir mis nu le fonctionnement dun systme fond sur lhypocrisie et la tyrannie de largent, quelle attitude va adopter le hros stendhalien la recherche du bonheur ?

La rponse cette question est lie lappartenance sociale des hros : constatation qui pourrait apparatre comme un truisme si la littrature jusqu lui navait pas - pour des raisons historiquement comprhensibles - peu prs totalement masqu cet aspect des choses. Cest mme l un des traits qui font de Stendhal un romancier dlibrment moderne : Le Rouge et le Noir par exemple est sans doute dans notre histoire le premier roman o le problme de classe soit pos avec une telle nettet, o il constitue la trame mme de laction.

Il existe un dnominateur commun la plupart des personnages de Stendhal, mme les plus diffrents au premier abord, sans doute parce que lauteur a mis dans chacun deux beaucoup de ses rves et de sa propre exprience. Cependant leur comportement est fonction du milieu dont ils sont issus et pour tout dire de leur classe.

Toute sa vie, Henri Beyle a t un touriste passionn du monde sous tous ses aspects. Mais il na pas seulemnt parcouru les routes dEurope. Dans son oeuvre, il nous invite une vritable exploration des classes sociales.

Tout se passe comme sil stait dit : Quaurais-je pu tre si jtais n paysan et pauvre sous la Restauration ? Et il a cr Julien Sorel. Fils de banquier sous Louis-Philippe, il aurait pu tre Lucien Leuwen. Et Fabrice del Dongo, sil tait n noble dans une petite principaut dItalie au dbut du XIXe sicle. Il a mme pouss la curiosit jusqu se dire : Et si javais t une femme. Il a alors crit Lamiel, roman trs en avance sur son poque et qui pose avec une audace faire grincer les dents de beaucoup le problme de lmancipation de la femme.

Tous ses hros, chacun sa manire, se sentent trangers dans la socit o ils vivent. Pour la mme raison fondamentale. Mais ils ragissent diffremment compte tenu de leur origine sociale. A vingt ans, dans son Journal, Stendhal sadressait lui-mme cette mise en garde : Ne pas prter des gens dune classe des ides que lon na que dans une autre classe. Les gens du peuple parlent-ils souvent du bonheur comme nous lentendons ? Julien Sorel est en butte lhumiliation et la pauvret, mais non pas Fabrice ou Lucien Leuwen que le sort a combls. Ceux-l sennuient, lautre non.

Cest en liaison avec la socit de son temps que Stendhal pose le problme de lEnnui, ou si lon veut du Mal du Sicle. L encore sa position est rsolument antimtaphysique parce quil flaire la mystification derrire la grandiloquence des attitudes. Tout dabord il na pas assez de sarcasmes lgard de ceux qui se sont conquis une clbrit en se faisant les spcialistes du dsespoir. Ce qui fait marquer ma diffrence avec les niais importants ... qui portent leur tte comme un saint sacrement, cest que je nai jamais cru que la socit me dt la moindre chose. Helvtius me sauva de cette norme sottise. La socit paie les services quelle voit.

Aprs avoir ramen le problme du ciel sur la terre, il diagnostiqua le Mal du Sicle en ces termes : Les sentiments vagues et mlancoqliques, partags par beaucoup de jeunes gens riches lpoque actuelle, sont tout simplement leffet de loisiviet.

Julien ne connat pas lennui parce quil a, comme dira plus tard Rimbaud, la ralit rugueuse treindre. Lucien ou Fabrice, au contraire, doivent lutter contre le monstre et ne peuvent y chapper que par lamour.

Le hros de Stendhal ne se croit pas lobjet dune maldiction divine. Il ne sestime mme pas personnellement victime de lincomprhension ou de la mchancet des autres : Je nai jamais eu lide que les hommes fussent injustes pour moi. Non, sa critique est plus fondamentale. Il rejette la rgle du jeu de la socit dans laquelle il vit. Julien, le plbien, parce que cette socit lopprime, Fabrice ou Lucien - les privilgis - parce quelle opprime les autres et quelle ne leur offre pas une raison de vivre. Lun est en lutte contre la socit, les autres sont en marge de leur classe. Les uns et les autres, au fond, pour la mme raison dordre moral : mme ceux qui en tirent profit ne se satisfont pas de linjustice.

En peignant la ralit telle quelle est, Balzac nous donne, dans La Comdie humaine, une critique froce de la socit bourgeoise que la ddicace de La Rabouilleuse dit base uniquement sur le pouvoir de largent.

Cependant, jamais Balzac ne met en cause la lgitimit de lordre social, au plus haut degr duquel il veut parvenir. Stendhal, quelles que soient les tentations, rpugne entrer dans le jeu : il reste un opposant politique.

Mais le monde crit par les deux romanciers est le mme. La Comdie humaine est bien lignoble bal masqu quvoque Stendhal. Cest lpoque de lambition effrne, fille de la rvolution industrielle.

Lobjectif cest darriver, sans tre dlicat sur le choix des moyens. Le premier commandement cest daccepter, les yeux ferms, la rgle du jeu, et il est caractristique que Stendhal et Balzac utilisent exactement la mme image pour en montrer la ncessit.

Quand la duchesse Sanseverina veut expliquer son neveu Fabrice lattitude quil doit observer pour gravir les chelons dans le parti de lEglise, elle a ces mots : Crois ou ne crois pas ce quon tenseignera, mais ne fais jamais aucune objection. Figure-toi quon tenseigne les jeux du whist. Est-ce que tu ferais des objections aux rgles du whist ?

Exactement de la mme manire chez Balzac, Vautrin incite son protg Rastignac, sil veut faire fortune, respecter scrupuleusement les lois mises en place par le pouvoir tabli. Quand vous vous asseyez une table de bouillotte, en discutez-vous les conditions ? Les rgles sont l, vous les acceptez... Cet ennemi de la socit nest pas insensible aux vertus du conformisme. Aussi finira-t-il chef de la Sret. Comme le personnage rel dont sest inspir Balzac, cest--dire Franois Eugne Vidocq, ancien bagnard, qui devint le chef de la police parisienne.

Comme le dit Vautrin, ce moraliste lucide qui sait de quoi il parle : lhonntet ne sert rien.

Cest ici que le hros de Stendhal se spare du hros de Balzac. Dans ce sicle dambitieux forcens - presque tous les personnages de premier plan de La Comdie humaine le sont - il occupe une place singulire. Ni Fabrice, ni Lucien Leuwen ne sont des ambitieux. Et si Julien Sorel lest un moment, il ne sagit pas en ce qui le concerne dune ambition ordinaire. Cest une jeune pauvre et qui nest ambitieux que parce que la dlicatesse de son coeur lui fait un besoin de quelques-unes des jouissances que donne largent. Il sagit davantage chez lui dune rvolte de lorgueil, dun rflexe dautodfense pour chapper lhumiliation puis dune rgle de conduite que faisant violence ses sentiments profonds il sest fixe pour se prouver lui-mme ses mrites malgr le handicap de classe. Mais il narrive jamais faire taire en lui la voix du coeur, et son cynisme nest que de surface. A chaque instant sa sensibilit risque de mettre en pril le fragile chafaudage de ses intrigues. Et cest quand il a atteint le comble de la russite quil se perd par une comportement suicidaire quaucun ambitieux vritable naurait adopt.

Comme les hros du Rouge et de la Chartreuse, les Rastignac et les Rubempr jugent sans illusion cette jungle sociale o, selon Balzac, rgne la toute-puissante pice de cent sous, et o selon Stendhal la condamnation mort est la seule chose qui ne sachte pas. Mais aprs avoir vers quelques larmes, Rastignac choisit sa manire de se diriger vers les hauteurs. Il se jure de parvenir, parvenir tout prix!, car il ne veut pas finir dans les rangs des vaincus.

Voil pourquoi au contact de la vie parisienne il enterre avec Le Pre Goriot les enthousiasmes gnreux et les derniers scrupules de sa jeunesse. Le dfi fameux quil lance alors Paris marque le terme de la rvolte morale et en un sens le commencement de la rsignation. Lhonntet ne paie pas en effet. Dsormais la rgle du jeu est accepte, et avec elle la lgitimit de lordre bourgeois. Il sagit de pntrer dans le monde des privilges et de se tailler un fief sa mesure. Peu importent les moyens, que lon doive son succs, comme Rastignac, aux faveurs de la femme dun banquier ou, comme Rubempr, lamiti quivoque dune canaille vade du bagne. Lessentiel est de participer au mouvement ascensionnel de largent et darriver, mme si on doit pour cela craser les plus faibles et flatter les puissants, trahir les amitis, laisser condamner les innocents, touffer en soi tout sentiment humain. Cest le prix de la russite.

Tout autre est lattitude de Julien Sorel.

Si Julien dcide de se vouer au machiavlisme politique pour conqurir les conditions matrielles ncessaires selon lui au dveloppement de lhomme libre, il refuse en fait de jouer le jeu, et sa sensibilit lemporte tout moment sur sa volont dhypocrisie.

Au demeurant Stendhal ne veut pas quon sy trompe. Au dnouement du Rouge, lauteur, comme le choeur dans les tragdies antiques, intervient pour tirer la morale de lhistoire et prendre la dfense de son hros : Il tait encore bien jeune, mais, suivant moi, ce fut une belle plante. Au lieu de marcher du tendre au rus comme la plupart des hommes, lge leur et donn la bont facile sattendrir, il se ft guri dune mfiance folle ... Mais quoi bon ces vaines prdictions.

Au lieu de marcher du tendre au rus, comme Rastignac, comme tous les ambitieux forcens de ce temps... Mais Julien Sorel nest pas de cette ligne. Ce dont il a besoin avant tout cest de sa propre considration, fidle en cela une devise chre Stendhal : Se f... compltement de tout, except de sa propre estime. Lhomme quil admire le plus, cest Altamira, le conspirateur pris de justice sociale et pour lequel il nest quune morale, celle de lutilit. Telle est galement dans les conditions particulires de leur classe, alors que toutes les fes se sont penches sur leur berceau, lattitude de Lucien et de Fabrice, combls par le sort, mais qui se rvlent des inadapts en ce sens quils refusent dentrer dans le jeu, de jouir sans remords de leurs privilges et quils jugent lordre social avec le mme mpris lucide que le hros du Rouge et Noir.

Au dnouement, devant les jurs qui vont le condamner mort, il se prsente une fois de plus comme le plbien rvolt et prononce contre cette justice de classe, dont la fonction est moins de frapper le crime que la rvolte devant lordre bourgeois, un rquisitoire passionn :

Messieurs, je nai point lhonneur dappartenir votre classe, vous voyez en moi un paysan qui sest rvolt contre la bassesse de sa fortune. Je ne vous demande aucune grce ... Je ne me fais aucune illusion, la mort mattend : elle sera juste. Jai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Voil mon crime, messieurs, et il sera puni avec dautant plus de svrit que, dans le fait, je ne suis point jug par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurs quelque paysan enrichi mais uniquement des bourgeois indigns...

Ce texte, souvent cit, que Stendhal crivit dans les dernires annes de sa vie, semble bien exprimer sa pense profonde quil livre sans complaisance. Rien ne lui fait plus horreur que lhypocrisie, et il ne veut pas se montrer meilleur quil nest. Do cette brutalit dans la franchise qui, au lieu de chercher arrondir les angles, le conduit accentuer le trait par un got du scandale qui se confond avec celui de la vrit.

Sagissant du peuple, il nous livre le fruit de ses rflexions avec un rien de provocation qui cache sans doute une rvolte profonde devant linjustice de lhumaine condition. Oui, il dsire passionnment le bonheur du peuple, mais ce serait un supplice de tous les instants que de vivre avec lui. Amer constat dimpuissance mais pourquoi jeter les belles mes et farder la vrit ? Oui, il prfre la compagnie de ceux qui aiment la musique de Mozart et les tragdies de Shakesperare. Comme le dit un de ses hros : Vivre sans conversation piquante est-ce une vie heureuse ?

Non quil accepte linjustice sociale et se range du ct des classes privilgies. Quil sagisse dArmance, du Rouge et Noir, de Lucien Leuwen, ses romans sont une condamnation sans appel de la socit ne de la rvolution bourgeoise, aucune des classes dirigeantes qui se disputent le pouvoir et largent ne trouve grce ses yeux : Jamais les hommes de salon ne se lvent le matin avec cette pense poignante : comment dinerai-je ?

Mais dabord, il faut se souvenir de ce quest le peuple au dbut du XIXe sicle, la misre laquelle il est rduit, lducation dont il est priv, ses intolrables conditions de vie, sa vulnrabilit la maladie, lalcoolisme, linsalubrit de lhabitat ouvrier. Telle est la terrible ralit du moment. Le peuple est alors proche de la vision quen donne Hugo dans Les Misrables ou Eugne Sue dans Les Mystres de Paris.

Voici par exemple comment un historien voque la vie des ouvriers sous Napolon : La dure du travail quotidien dpasse dix heures; elle va de cinq heures du matin sept heures du soir en t et de six heures du matin six heures du soir en hiver, avec deux heures de repas...Louvrier est dsarm devant le patron : interdiction des compagnonnages et des coalitions, obligation du livret ... Cest lge de douze ans ou quatorze ans que lon entre latelier, mais ds sept ans certains enfants sont employs dans les fabriques dvider la laine et le coton. Autant dire que linstruction est quasi inexistante, la frquentation dune cole impossible ... La combativit nest pas trs dveloppe, la conscience de classe inexistante ... Des caves de Lille aux taudis de la Cit, linsalubrit de lhabitat ouvrier est gnrale. Le docteur Menuret le constate en 1804.

Stendhal a conscience la fois de linjustice faite au peuple et de sa propre impuissance changer cette situation. Do son repli sur les happy few. Ce qui nempche pas dans son oeuvre, lcrivain de prendre parti, et dans Le Rouge et le Noir de tmoigner pour cette classe de jeunes gens qui, ns dans une classe infrieure et en quelque sorte opprime par la pauvret, ont le bonheur de se procurer une bonne ducation et laudace de se mler ce que lorgueil des gens riches appelle la socit.

Mais les happy few, je lai dj not, ne se recrutent pas seulement dans les couches sociales privilgies ou mme parmi ceux, comme Julien, qui ont eu le bonheur de se procurer une bonne ducation. La vritable noblesse pour Stendhal cest celle du coeur. Quel est, dans sa jeunesse, lhomme pour lequel il prouve le plus destime ? Cest le valet de chambre de son grand-pre.

Le Grenoblois qui lui parat le plus noble ? Un ancien laquais. Avec qui se lie damiti le jeune Fabrice au chteau de Grianta ? Avec les hommes dcurie. Qui est Ferrante Palla, conspirateur et voleur de grand chemin ? Lhomme sublime de La Chartreuse.

Et lorsque Stendhal dclare abhorrer ce que lon appelle de son temps la canaille, ce jugement est singulirement tempr par ladmiration quil prouve pendant les trois Glorieuses pour le courage et la grandeur du peuple, hroque et plein de la plus noble gnrosit aprs la bataille.

Quelles que soient les diffrences de gnie, de temprament, de vocation entre le dilettante de la chasse au bonheur et un philosophe comme Karl Marx, on ne peut qutre frapp - et je lai t depuis longtemps - par la similitude de lanalyse de la monarchie de Juillet et que lon retrouve dans le Lucien Leuwen dHenri Beyle, et Les Luttes de classes en France de Karl Marx.

Lhorreur du vague chez Stendhal nous vaut une analyse singulirement prcise de la monarchie de Juillet. Lucien Leuwen est une des plus violentes critiques, faite par un romancier, de la socit domine par largent.

Il sagit dune socit dtermine, domine par laristocratie financire une poque elle-mme dtermine, celle de Louis-Philippe et de lhgmonie de cette fraction de la bourgeoisie franaise dont parle Marx.

Laffitte cest le banquier Leuwen, pre du hros.

Il est admirable que Stendhal, dans un roman, ait t amen dcrire avec autant dexactitude la nature et les moyens du pouvoir : la tte de lEtat, la Banque, cette nouvelle noblesse gagne en crasant ou en escamotant la rvolution de Juillet. La Banque qui a mis sur le trne celui que le romancier appelle non pas Robert Macaire, comme Karl Marx, mais ce qui revient au mme dans son langage cod le plus fripon des kings.

Les ministres qui acceptent de protger le fils dun banquier parce quils spculent la Bourse, et quun ministre ne peut dfaire la Bourse mais [que] la Bourse peut dfaire un ministre. Les prfets qui fabriquent les lections sans gloire - facilites par le rgime censitaire - malgr une distribution judicieuse des pots-de-vin, des dbits de tabac et des annes de prison. La police -ou plutt les polices - dont le souci est de veiller ce que trop dintimit ne stablisse entre les soldats et les citoyens et qui de temps en temps fait assassiner un soldat par des provocateurs vtus en ouvriers (lincident Kortis qui met en scne un agent du pouvoir bless par une sentinelle quil voulait dsarmer est historique). La religion que le gouvernement des banquiers libres-penseurs autant que celui de la Restauration bien-pensante rvre, parce quelle est le plus ferme appui du gouvernement despotique. Larme dont la fonction nest pas de dfendre la patrie mais de sabrer les tisserands et pour qui lexpdition de la rue Transnonain est la bataille de Marengo.

Il ne sagit mme plus dun coup de pistolet au milieu dun concert mais dun concert de coups de pistolet, dun feu roulant de mousqueterie sur la monarchie de Juillet, ses bailleurs de fonds, ses courtisans et ses policiers.

Alors que va devenir le hros stendhalien dans ce bourbier ? Comment va-t-il sy prendre pour aller la chasse au bonheur ?

Prenons lexemple de Lucien Leuwen.

Comme la not Jean Prvost, il est n dun rve de compensation. Contrairement Henri Beyle, il a un pre riche qui laime, le comprend et le soutient. Sa mre est vivante, et lentoure de sa tendresse. Il est beau, lgant, envi. Les grands de ce monde lui manifestent la considration due la richesse de son pre. Enfin et surtout, il est aim de Mathilde, ou plutt de Bathilde, puisque cest le prnom de Mme de Chasteller, incarnation littraire du grand amour de Stendhal.

Ds le dpart, donc, toutes les conditions paraissent runies pour que Lucien ait une vie brillante et heureuse. Mais un lourd handicap pse sur lui. Atteint de la maladie du trop raisonner, la socit telle quil la voit narrive pas lenthousiasmer.

Do les tranges errements de ce fils de grand bourgeois. Ds la premire phrase de son roman, Stendhal nous en donne la cl :

Lucien Leuwen avait t chass de lEcole Polytechnique pour stre all promen mal propos, un jour quil tait consign, ainsi que tous ses camarades : ctait lpoque dune des clbres journes de juin avril ou fvrier 1832 ou 1834.

Quelques jeunes gens assez fous, mais dous dun grand courage, prtendaient dtrner le roi, et lEcole Polytechnique (qui est en possession de dplaire au matre des Tuileries) tait svrement consigne dans ses quartiers. Le lendemain de la promenade, Lucien fut renvoy comme rpublicain.

La petite promenade si discrtement voque qua accomplie Lucien, cest celle qui la conduit le 5 juin 1832 aux funrailles du gnral Lamarque. Ancien soldat de la Rvolution et de lEmpire, volontaire en 1792, le gnral Lamarque sest rendu populaire par son opposition aux Bourbons et Louis-Philippe. Ses obsques sont loccasion dune vritable insurrection contre la monarchie de Juillet; elle se termine aprs quarante-huit heures de violents combats par le massacre des derniers insurgs au clotre Saint-Merri. Nous nen sommes pas loin. On dnombre quelque huit cents morts et blesss.

Si les carlistes y participent, le courant rpublicain est largement dominant. Lunion se ralise dans le combat entre les jeunes bourgeois adhrents aux socits rpublicaines et les membres des corporations ouvrires...

Cest sur ces barricades que vont mourir Gavroche de Victor Hugo et Michel Chrtien, le hros rpublicain du clotre de Saint-Merri, qui a touch le coeur du monarchiste Balzac.

Lucien Leuwen, lui, nen mourra pas, mais il est renvoy de lEcole, et sans le salon et largent de son pre, jamais [dit-il lui-mme], je ne me relverai de la profonde disgrce o nous a jets notre rpublicanisme de lEcole Polytechnique.

A lun de ses amis moins scrupuleux qui linvite entrer sans plus attendre dans la carrire, il rpond : Tu as cent fois raison ... mais je suis bien plaindre : jai horreur de cette porte par laquelle il faut passer; il y a sous cette porte trop de fumier.

Comme Stendhal, son hros est un jacobin qui pense que la Rvolution franaise a t un jalon dcisif sur la voie des temps modernes et de la conqute du bonheur pour les peuples. Il considre avec un mpris amus les nostalgiques de lAncien Rgime qui gmissent sur la dcadence franaise : Rien ntait plus plaisant aux yeux de Lucien, qui croyait que ctait prcisment compter de 1786 que la France avait commenc sortir un peu de la barbarie o elle est encore demi plonge.

Mais la Rvolution a dbouch sur lEmpire et sa servilit, et les anciens gnraux de Napolon, si braves hier au combat pour la patrie, se sont mus en courtisans ou en policiers : Heureux les hros morts avant 1804 ! Napolon, au moment de la signature du Concordat, exile un de ses gnraux aprs ce bref dialogue avec lui : La belle crmonie, Delmas ! cest vraiment superbe, dit lempereur revenant de Notre-Dame. - Oui, gnral, il ny manque que les deux millions dhommes qui se sont fait tuer pour renverser ce que vous relevez. Et ce qui a succd lEmpire est plus mprisable encore. La Restauration avec le retour des migrs dans les fourgons de la Sainte-Alliance, la Terreur blanche, le triomphe de lobscurantisme. Enfin, la monarchie de Juillet, avec Robert Macaire sur le trne et la Banque qui dispose ses rets, remplit ses coffres et assume le vrai pouvoir.

N trop tt ou trop tard, Lucien Leuwen ne sait o porter ses pas : En vrit ... Je ne sais ce que je dsire. Ce qui est sr, cest quil refuse le nouveau pouvoir o il ne voit que mdiocrit, bassesse, compromission et presque le crime de lhumanit envers le petite peuple. Certes, il est tent par le rve rpublicain qui la dj conduit, jeune tudiant, aux obsques du gnral Lamarque. Dans son rgiment qui foisonne de dnonciateurs et despions, son admiration va aux conjurs romantiques qui ont devin en lui la complicit dune me noble et lui envoient un message de sympathie pour lui faire part de leurs opinions rpublicaines.

Lucien Leuwen ne peut pas savoir que le rve de ses chers rpublicains un peu fous sachvera quelques dizaines dannes plus tard sous les balles des Versaillais au pied du mur dun cimetire parisien. Un mur qui porte aujourdhui leur nom.

Mais, au-del de son dgot pour le systme en vigueur, il sinterroge sur celui qui pourrait suivre. En France il nentrevoit rien de possible dans limmdiat.

Il songe un moment partir en Amrique quil imagine rpublicaine, mais estime quil sennuierait l-bas.

Je prfrerais cent fois les moeurs lgantes dun cour corrompue ... Jai besoin des plaisirs donns par une ancienne civilisation.

Conscient de senfermer dans une impasse, il se juge sans indulgence : Mais alors, animal, supporte les gouvernements corrompus, produits de cette ancienne civilisation; il ny a quun sot ou un enfant qui consente conserver des dsirs contradictoires.

Ce sont pourtant ces dsirs contradictoires qui portent la marque du hros stendhalien. Il ne peut pas rsoudre seul cette contradiction, et cest lHistoire quil reviendra de trancher un jour le noeud gordien. Lucien rejette avec violence la socit de son temps, mais il na ni les moyens, ni le got, ni vraiment lenvie de la remplacer par une autre dont les contours ne lui paraissent pas avec nettet ou lui semblent au contraire trop abrupts.

Alors, que peut faire le hros, sinon tenter de prserver son intgrit, puisque le terrain est min par lhomme de qualit. Se rfugier une fois de plus dans lgotisme : Au fond, je me moque de tout except de ma propre estime, se dit Lucien. Ce qui signifie tout bien pes quil ne se moque de rien. Mais cette dmarche le conduit dabord refuser dentrer dans le jeu, il naccepte dtre ni conqurant ni Rastignac, ni rcupr comme Frdric Moreau, le hros flaubertien de lEducation sentimentale. Il demeure fidle son attitude de protestataire : Moi pllien et libral je ne puis tre quelque chose au milieu de toutes ces vanits que par la rsistance.

Lucien Leuwen, cest lhistoire dun homme qui rve dune rpublique utopique et qui, ne voyant rien venir, sefforce de vivre sans perdre son propre respect dans une socit dont il rejette la rgle, bien quapparemment elle le favorise. Cest lhistoire dune solitude laquelle il ne peut chapper lui aussi que par lamour.

Pourquoi la lecture de Stendhal suis-je frapp par lacuit de certaines rflexions qui, au-del de la diversit des situations, des pays et des hommes, malgr les annes coules, me paraissent jeter encore une lueur fulgurante sur le comportement des individus ou des peuples face la politique, au pouvoir et ses prils ? Mme et surtout quand il sagit de ceux quil estime ou quil aime.

A propos de Napolon, par exemple, dont il crit pourtant vers la fin de sa vie, sans doute pour mieux exprimer son mpris lgard de la Restauration et de la monarchie de Juillet, que ce fut le seul homme quil respecta. Mais son admiration ne laveugle pas, quon en juge : Treize ans et demi de succs firent dAlexandre le Grand une espce de fou. Un bonheur exactement de la mme dure produisit la mme folie chez Napolon.

Sur la campagne dItalie, alors que larme franaise, qui est encore celle de la Rvolution, est accueillie dabord avec enthousiasme parce quelle chasse loccupant autrichien : On renversa leurs statues et tout coup lon se trouva inond de lumire. Plus tard, lenthousiasme diminua ... Le bon peuple milanais ne savait pas que la prsence dune arme, ft-elle libratrice est toujours une grande calamit.

Sur le pouvoir absolu qui engendre invitablement un rgime policier : Lempereur avait cinq polices diffrentes qui se contrlaient lune lautre. Un mot qui scartait de ladoration je ne dirai pas pour le despote, mais pour le despotisme, perdait jamais.

Et enfin, ce trait propos de Napolon, quil admire pour ses mrites mais sans illusions sur ses tares : En 1807 javais dsir passionnment quil ne conquit pas lAngleterre. O se rfugier alors ?

Etrangement, quand je relis Stendhal, je suis saisi par la modernit de son propos. On renversa leurs statues et lon fut inond de lumire ... Treize ans et demi de succs firent dAlexandre le Grand une espce de fou ... Une arme mme libratrice est toujours une grande calamit. O se rfugier alors ? ... Chaque fois, une image mapparat, jai envie de combler les pointills en avanant des noms de personnes ou de lieux qui ont dfray la chronique de notre temps.

Il nest pas dautre moyen dchapper lennui et au dgot de lhypocrisie sociale que lamour. Lamour a fait le bonheur et le malheur de ma vie, crit-il dans sa notice autobiographique.

Stendhal rencontre pour la premire fois en mars 1818 Mathilde dont il restera amoureux toute sa vie mais qui ne rpondra pas son amour.

A-t-elle t sur le point de rpondre sa flamme, comme il sefforce de sen convaincre bien des annes aprs ? A examiner dun oeil froid le comportement de la belle, il est permis de penser que non et son refus nest pas d, comme il le pense, aux calomnies dune amie indigne mais la simple, banale et dcisive raison quelle ne laimait pas.

Ah ! Sil avait eu la taille la plus fine et un visage plus sduisant ! Si Mathilde lavait aim ! Toute sa vie sans doute en et t change. Mais peut-tre naurions-nous pas eu Le Rouge et le Noir, La Chartreuse et Lucien Leuwen.

Car Stendhal incarne dans ses romans ses rves damour fou. En crant ses hros il prend sa revanche sur les checs de sa propre vie : Il se venge ... de ntre pas ce quils sont. Tout crivain se rcompense comme il peut de quelque injure du sort.

Quune vie est heureuse, crit Pascal, quand elle commence par lamour et quelle finit par lambition. Pour Stendhal lamour est le commencement et la fin. De son enfance ses dernires annes il na cess dtre amoureux ou en qute de lamour. Dans tous ses romans il fait revivre les femmes quil a aimes. Il crit Armance pour chapper au dsespoir que lui cause la rupture avec la comtesse Curial. De lamour pour oublier Mathilde, les Promenades dans Rome dans le souvenir dAlberte de Rubempr

Sil a une tendresse particulire pour Milan, tenue par lui comme le plus beau lieu de la terre au point quil inscrit sur son pitaphe : Henri Beyle, Milanese, cest tout simplement parce que cest la ville de sa jeunesse et de ses amours, parce quil y a t heureux avec Angela et malheureux cause de Mathilde. Malheureux mais amoureux, et limportant ce nest pas dtre aim mais daimer.

Mais lnergie la manire stendhalienne, ce nest pas celle du prfet de police, cest dabord et surtout la passion amoureuse, un risque absolu, une folie merveilleuse devant qui tout sabolit, un don total de soi, un lan de lme vers le bonheur, rigoureusement indpendant de la fortune, de lambition et des normes ordinaires de la russite.

Voyons ce que son amour pour Julien Sorel a fait par exemple de Mme de Renal, femme douce, pieuse, apparemment efface et soumise, dun mdiocre notable de province. Alors que lhomme quelle aime a tent de la tuer, elle va le voir dans sa prison au mpris des convenances sociales, prte tout sacrifier par la menace de la mort prochaine. Ds que je te voie, dit-elle Julien, tous les devoirs disparaissent, je ne suis plus quamour pour toi ... En vrit je ne sais pas ce que tu minspires ... Tu me dirais de donner un coup de couteau au gelier, que le crime serait commis avant que jy eusse song.

Et Julien, de son ct, saperoit dans sa prison que lambition est morte dans son coeur, quil est perdument amoureux de Mme de Renal (Sache que je tai toujours aime, que je nai aim que toi) et qu aucun moment de sa vie [il] navait trouv un moment pareil. Cest l un trait caractristique de loeuvre stendhalienne : la dcouverte du bonheur dans le paroxysme de la passion.

Il ne sagit pas dun tat dans lequel on sinstalle, mais dun moment o la brivet est compense par la qualit et lextraordinaire intensit de la joie que lon prouve. Peu importe aprs cela de connatre la souffrance ou mme la mort. Rien ne peut abolir ces instants de bonheur parfait que lon ne saurait payer trop chrement : Cest peu de chose mes yeux, dit Mme de Rnal, que de payer de la vie les jours heureux que je viens de passer dans tes bras.

Mme quand cette femme sincrement croyante est persuade que la maladie de son fils, quelle adore, est une vengeance du ciel pour ses pchs, elle ne peut que persister dans son amour : Je suis damne irrmdiablement damne ... Mais au fond je ne me repens point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle tait commettre.

Ce thme de linstant exquis revient constamment dans loeuvre de Stendhal. Par exemple dans Lucien Leuwen : Jamais il navait rencontr de sensation qui approcht le moins du monde de celle qui lagitait. Cest pour ces rares moments quil vaut la peine de vivre.

Lui-mme raconte dans La Vie dHenri Brulard comment il connut un jour dix-sept ans une approche voisine du bonheur parfait la seule vue dun paysage : Je voyais ce beau lac stendre sous mes yeux, le son de la cloche tait une ravissante musique qui accompagnait mes ides et leur donnait une physionomie sublime ... Pour un tel moment il vaut la peine davoir vcu.

Le bonheur donc, cest une occasion privilgie, que les mes nergiques savent saisir : Il se sentait entran, il ne raisonnait plus, il tait au comble du bonheur. Ce fut un de ces instants rapides que le hasard accorde quelquefois comme compensation de tant de maux aux mes faites pour sentir avec nergie. La vie se presse dans les coeurs, lamour fait oublier tout ce qui nest pas divin comme lui, et lon vit plus en quelques instants que pendant de longues priodes.

La passion chez Stendhal na pas seulement une valeur intrinsque. Les mes de qualit attendent davantage quune existence plate ou une ambition ordinaire. Lorsquelles dcouvrent lamour cest lillumination soudaine, lcroulement des dcors de ce thtre dombres, lapparition de la vraie vie.

Cest un trait commun aux personnages stendhaliens issus de la haute socit quils ne se satisfont pas de leur condition. Lorgueilleuse Mathilde de La Mole est apparemment comble par le sort : Que pouvait-elle dsirer ? La fortune, la haute naissance, lesprit, la beaut ce quon disait, et ce quelle croyait, tout avait t accumul sur elle par les mains du hasard. Pourtant les brillants cavaliers parfaits, trop parfaits qui lui font la cour lennuient : Elle abhorrait le manque de caractre, ctait sa seule objection contre les beaux jeunes gens qui lentouraient. Plus ils plaisantaient avec grce tout ce qui scarte de la mode, ou la suit mal croyant la suivre, plus ils se perdaient ses yeux. Ce qui lattire - et lirrite - chez Julien cest quil ne ressemble pas aux autres, et quil a prcisment du caractre : Celui-l nest pas n genoux, pensa-t-elle.

Cest toujours en effet la socit et ses tabous que vient se heurter la passion stendhalienne mme quand elle est partage.

Cest dans la solitude de sa prison alors quil a t condamn mort et dans lattente de son excution que Julien Sorel rencontre le bonheur et lamour : A aucune poque de sa vie Julien navait trouv un moment pareil ... Jamais il navait t aussi fou damour. Il vit dans linstant, sans presque songer lavenir, le temps pour lui est arrt. Par un trange effet de cette passion, quand elle est extrme et sans feinte aucune, Mme de Renal partageait presque son insouciance et sa douce gaiet. Nous retrouvons l cette aptitude jouir du moment de bonheur, malgr le tragique de la situation et pour une part cause de lui, qui est un trait du hros stendhalien. Dans les Cenci, quand Batrix finit par avouer, sous la torture, sa culpabilit dans le meurtre de son pre, tous les prisonniers membres de la conjuration bnficient avant lexcution dun rgime de faveur ! Aussitt on ta les chanes tous et parce quil y avait cinq mois quelle navait vu ses frres, elle voulut dner avec eux et ils passrent tous quatre une journe fort gaie.

Mais cest dans La Chartreuse de Parme que ce thme du bonheur dans la solitude apparat dans tout son clat, avec les tranges amours de Cllia et de Fabrice.

Cest dans sa prison que Fabrice trangement va lui aussi trouver le bonheur. Ds son arrive dans la citadelle il est mu et ravi par le spectacle quil voit de sa fentre grillage : Par une bizarrerie laquelle il ne rflchissait point, une secrte joie rgnait au fond de son me ... Au lieu dapercevoir chaque pas des dsagrments et des motifs daigreur, notre hros se laissait charmer par les douceurs de sa prison. La raison de cette joie secrte est facile dceler, cest quil a conscience de la prsence de Cllia, tout prs de lui dans la citadelle, Cllia quil espre apercevoir. Lui qui avant de la rencontrer est amoureux de lamour mais qui se contente de collectionner les matresses sans sattacher vraiment aucune (Pour lui une femme jeune et jolie tait toujours lgale dune autre femme jeune et jolie, seulement la dernire connue lui semblait la plus piquante), lui pour qui une des dames les plus admires de Naples a fait des folies ce qui dabord lavait amus et avait fini par lexcder dennui, le voici qui soudain dcouvre une puissante raison de vivre. Et cest dans une prison. Le symbole est vident : cest la socit qui est laccuse. Au fate de la tour Farnse, Fabrice rve, il admire la beaut de limmense horizon, de Trvise au mont Viso, les pics alpins couverts de neige, les toiles, et sarrte cette conclusion : On est ici mille lieues au-dessus des petitesses et des mchancets qui nous occupent l-bas.

Il est tellement mu dapercevoir Cllia travers la meurtrire quil a perce dans un abat-jour de bois destin lui cacher le palais du gouverneur quil en oublie sa condition de prisonnier. Quand le trouble de la jeune fille lui montre quil est aim, son coeur est inond de joie : Avec quels transports il et refus la libert si on la lui et offerte en cet instant. Il la refuse dailleurs quand sa tante la duchesse Sanseverina propose de le faire vader, car il ne veut pas quitter cette sorte de vie singulire et dlicieuse quil trouve auprs de Cllia : Nest-il pas plaisant de voir que le bonheur mattendait en prison ? ... Est-ce que jamais lon se sauva dun lieu o lon est au comble du bonheur ? Il faut que Cllia elle-mme, qui craint son assassinat, le contraigne sous serment accepter le projet de la duchesse et du comte Mosca. Il svade alors de la forteresse, arrive sans encombre sur les terres de la duchesse, retrouve les paysage, le lac sublime, qui lenchantaient dans son adolescence, mais, au sombre dsespoir de sa tante, il tombe dans une mlancolie quil narrive pas malgr tous ses efforts masquer. Le sentiment profond par lui cach avec beaucoup de soin tait assez bizarre, ce ntait rien moins que ceci : il tait au dsespoir dtre hors de prison.

Mais lamour physique dans tout cela, que devient-il ?

Il est vrai quen apparence il est absent de loeuvre de Stendhal.

Dans son article sur La Chartreuse, Balzac avait dj not le phnomne. La Chartreuse de Parme est plus chaste que le plus puritain des romans de Walter Scott.

Et pourtant le sujet en lui-mme pouvait paratre scabreux puisquil sagissait de lamour incestueux dune belle duchesse pour son neveu. Mais Balzac encore a raison dadmirer : Faire un personnage noble, grandiose, presque irrprochable dune duchesse qui rend un Mosca heureux et ne lui cache rien, dune tante qui adore son neveu Fabrice, nest-ce pas un chef-doeuvre ?

Certains le souponnent davoir t un babilan comme Octave de Malivert dont il a racont les amours malheureuses dans Armance. Cette hypothse est aujourdhui largement rfute par les historiens littraires qui en appellent, non sans quelque raison, aux tmoignages trs explicites de ses matresses, en particulier aux lettres de la comtesse Curial et aux confidences dAlberte de Rubempr, lesquelles apparemment ne se seraient pas contentes de lme.

Ce qui est vrai cest que son extrme sensibilit a pu jouer Stendhal de mauvais tours dans certaines circonstances. Il nous raconte lui-mme que lors dune dlicieuse partie de filles organise par ses amis Paris lors de son retour de Milan, laiss seul avec une courtisane dbutante, la belle Alexandrine, il savra dfaillant et fit un fiasco complet parce quil ne pouvait se dbarrasser du souvenir de Mathilde la bien-aime. Do sa curiosit pour rechercher les causes des fiascos qui nous vaut un chapitre dans De lamour. Mais il est un peu rapide darguer de ces incidents de parcours que ce subtil analyste de la passion aurait t rduit au platonisme pur.

Pour Stendhal le mythe de Don Juan, son rle satanique, est troitement li la morale chrtienne et aux tabous sexuels quelle a artificiellement imposs. Pour que le Don Juan soit possible il faut quil y ait de lhypocrisie dans le monde ! Le Don Juan eut t un effet sans cause dans lAntiquit. La religion tait une fte, elle exhortait les hommes au plaisir.

Aussi, au dpart, une grande partie du plaisir quprouve Don Juan cest de braver lhypocrisie en recherchant des plaisirs cruellement rprims par lInquisition. Le sentiment du danger et celui du pch se conjuguent pour augmenter le plaisir.

Stendhal nous rapporte joliment cette anecdote dune princesse italienne du XVIIe sicle qui disait en prenant une glace avec dlices le soir dune journe fort chaude : quel dommage que ce ne soit pas un pch. Ici le risque de la damnation nest pas seulement accept, il est souhait.

Il est intressant de comparer la faon remarquablement pudique dont Stendhal parle de lamour dans ses romans et le ton volontiers direct et mme cru quil emploie dans ses lettres ou dans son journal. Par exemple : Quil y a loin de l aux grandes lettres que jinventais Vienne en 1809, ayant une vrole horrible, le soin dun hpital de quatre mille blesss ... une matresse que jenfilais et une matresse que jadorais.

Aussi dans loeuvre romanesque lauteur a-t-il fait un choix esthtique et moral. A tort ou raison, mais consciemment, Stendhal a proscrit le langage ordinaire dHenri Beyle. Il refuse par un vident parti pris de nous parler autrement que par ellipse de cet amour que lon nomme physique, alors que dans ses crits intimes il semble au contraire prendre parfois un malin plaisir scandaliser par son vocabulaire de corps de garde.

En vrit le ton faussement dsinvolte de ses lettres ne doit pas faire illusion. Sil use de mots crus et joue les cyniques, cest pour prserver sa rputation desprit fort et se protger contre les railleries de ses amis. Mais il force son talent et, paradoxalement, le vrai Stendhal nest pas celui de la vie courante, le correspondant de Mrime, cest celui de ses romans, pour qui la pudeur est la mre de la plus belle passion du coeur humain, lamour, et qui crit la fin de sa vie : Je ne me souviens, aprs tant dannes et dvnements, que du sourire de la femme que jaimais.

Cest parce quil se fait une trs haute ide de lamour quil a peur de le rabaisser en parlant -mal - de ses manifestations physiques. Non quil en mconnaisse limportance, mais parce quil apprhende une manire de fiasco littraire. Nest-ce pas cette crainte quil veut exprimer aussi dans Henri Brulard lorsque revient sous sa plume plusieurs reprises cette ide de la difficult dcrire : On gte des sentiments si tendres les raconter en dtail.

Labsence de toute allusion une technique physique de lamour dans les romans de Stendhal nempche pas la prsence dun rotisme diffus qui se nourrit dun geste, dun regard, dun parfum, de lclat soudain dun bras nu ou dune paule dcouverte. Cette prsence secrte na pas chapp Andr Malraux qui observe propos de lindividualisation de lrotisme dans une prface Lamant de lady Chatterley : Le livre parfait de la fin du XIX sicle, en ce domaine, et t un supplment au Rouge et Noir o Stendhal nous et dit comment Julien couchait avec Mme de Rnal et Mathilde de La Mole, et la diffrence des plaisirs quils y prenaient tous les trois.

Lrotisme nat moins de la prcision de la description que du choix de quelques dtails significatifs et surtout de latmosphre cre par le romancier. Il suggre par exemple que Mme de Rnal est frigide avant de connatre Julien. Marie seize ans, elle navait de sa vie prouv ni vu rien qui ressemblt le moins du monde lamour ... Ce ntait gure que son confesseur qui lui avait parl de lamour, propos des poursuites de M. Valenod et il lui en avait fait une image si dgotante que ce mot ne lui reprsentait que lide du libertinage le plus abject. Aprs la premire nuit passe avec Julien, cest la rvlation soudaine, fulgurante : Quand il restait Mme de Rnal assez de sang-froid pour rflchir, elle ne revenait pas de son tonnement quun tel bonheur existt et que jamais elle ne sen ft doute.

Pourtant dans ce domaine, Stendhal naccentue pas le trait.

Par exemple la scne fameuse o, sous le tilleul, Julien entreprend un soir pour la premire fois sa tentative de sduction est un chef-doeuvre de sensualit diffuse, bien que le seul objectif de lassaut soit de prendre dans lobscurit la main de Mme de Rnal et de la garder. Mais lmotion vient de lacuit du danger et de limportance de lenjeu : Au moment prcis o dix heures sonneront, jexcuterai ce que pendant toute la journe je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brler la cervelle.

Alors que Mme de Rnal est tout de suite prise par sa passion sans arrire-pense, sinon sans jalousie et sans remords, alors quelle se donne totalement, corps et me, et quelle y trouve un bonheur dont elle navait jamais rv, tel point quil lui arrive de dsarmer la terrible mfiance de Julien, il nen va pas de mme avec laltire Mathilde, dont lorgueil livre un combat de chaque instant avec lamour.

Il sagit davantage chez elle dun amour de tte, et lorsquelle invite Julien monter dans sa chambre par lchelle du jardinier, cest une preuve quelle lui inflige pour mesurer sa force de caractre - elle a dcid que sil ose arriver jusqu elle au pril de sa vie elle se donnerait lui -, mais en tenant parole elle croit accomplir un devoir, et le plaisir nest pas ce rendez-vous glac : Ctait faire prendre lamour en haine.

Bien que Stendhal, une fois de plus, soit trs discret sur le comportement des amants au cours de cette nuit (Mathilde finit pas tre pour [Julien] une matresse aimable), il prcise qua la vrit ces transports taient un peu voulus, suggrant quelle reste froide et quelle aussi tait probablement frigide. Ce qui conduit Julien sinterroger sur cette attitude et la comparer avec celle de Mme de Rnal : Aucun regret, aucun reproche ne vinrent gter cette nuit qui semble singulire plutt quheureuse Julien. Quelle diffrence, grand Dieu ! avec son dernier sjour de vingt-quatre heures Verrires ! Les belles faons de Paris ont trouv le secret de tout gter, mme lamour, se disait-il dans son injustice extrme. Quant Mathilde, la premire exaltation passe, elle tombe dans la plus extrme dception. Il ny eut rien dimprvu pour elle dans tous les vnements de la nuit, que le malheur et la honte quelle avait trouvs au lieu de cette entire flicit dont parlent les romans.

Cest dans cette insatisfaction du corps et de lesprit quil faut rechercher la raison des volte-face de Matilde, au cours des jours suivants, de son dsarroi et de ses fureurs, de cette imagination renverse qui opre comme une cristallisation rebours et qui ne voit quobjet de mpris l o elle dcouvrait la veille de suprmes mrites. A quoi sajoute son orgueil de classe un moment oubli : elle a honte de stre livre au premier venu un petit abb, fils dun paysan. Do la tendre et cruelle guerre que se mnent les deux amants, le terrible dsespoir de Julien (Un des moments les plus pnibles de sa vie tait celui o chaque matin, en sveillant, il apprenait son malheur) - il pense mme se donner la mort - les rconciliations suivies de nouvelles temptes, comme cette nuit o il prend lchelle pour monter jusqu sa fentre et se jeter dans sa chambre : Cest donc toi, dit-elle en se prcipitant dans ses bras ... Toujours fidle son parti pris de discrtion dans ces circonstances, Stendhal fait suivre cette phrase dune ligne de points de suspension et se borne remarquer : Qui pourra dcrire lexcs du bonheur de Julien ? Celui de Mathilde fut presque gal. Presque. Encore une de ces notations brves qui contribuent expliquer le comportement du personnage. Car Mathilde se drobe nouveau, jusquau jour o la jalousie lui fait prendre conscience de la ralit de sa passion et la ramne son amant devant qui elle tombe vanouie : La voil donc, cette orgueilleuse, mes pieds se dit Julien.

Dans La Chartreuse de Parme il ny a pas de rglement de compte de cette nature entre Fabrice et Cllia - car lun et lautre appartiennent la mme classe -, mais on retrouve dans la peinture de leurs amours la mme extrme pudeur. Quand Cllia, folle dinquitude, voit dans sa prison Fabrice, quon se prpare - elle le sait - empoisonner, et quelle se donne lui pour la premire fois, Stendhal se borne dcrire la scne en ces termes : Elle tait si belle, demi vtue, et dans cet tat dextrme passion, que Fabrice ne put rsister un mouvement presque involontaire. Aucune rsistance ne lui fut oppose. Discret et complice, le romancier sefface devant ces moments de bonheur fou.

Comme il sefface vers la fin du roman lorsque Fabrice, aprs avoir t si longtemps et si cruellement spar de celle quil aime - elle a t contrainte dpouser le marquis Crescenzi -, reoit un jour un billet de Cllia lui donnant rendez-vous minuit devant une porte drobe du palais. Cllia perdue et enfant retrouv. Cllia dont il a tant rv et dont la voix chre sortie de lombre lui murmure soudain ces simples mots : Entre ici, ami de mon coeur.

Et Stendhal : Nous demanderons la permission de passer sans dire un mot sur un espace de trois annes.

Pourtant, malgr cette drobade, la charge sensuelle demeure forte chez Stendhal, mme si elle nest voque que par les pieds nus de la comtesse Curial, la main de Mme de Rnal, les paules de Mme de Chasteller ou lappel de Cllia dans la nuit. Au moment o Fabrice, de la fentre de sa prison, apparat Cllia qui se trouve dans la cour de son palais, il remarque quelle rougissait tellement que la teinte rose stendait rapidement jusque sur le haut des paules et cela suffit le remplir despoir.

Cest encore une des singularits de Stendhal que ce romancier de la chasse au bonheur ait t hant toute sa vie par lide de la mort.

La mort, il en fait la cruelle exprience ds lge tendre. Elle le frappe enfant travers les siens. Il perd sa mre, on le sait, alors quil a sept ans et ce coup du destin le bouleverse. A tel point quon peut dire quil y a eu deux priodes dans sa vie affective : avant la mort de sa mre et aprs.

De 1828 1840 toutefois il ntablit pas moins de trois douzaines de testaments. La vieillesse le hante autant que la mort et il nous raconte au dbut dHenri Brulard comment, sapercevant quil va avoir bientt cinquante ans, il inscrit cette constatation lintrieur de sa ceinture. Simple originalit sans signification? La pudeur lempche den dire plus mais son cousin Romain Colomb parle pour lui : Cette dcouverte laffligea comme aurait pu le faire lannonce inopine dun malheur irrparable. Ses romans aussi : Le comte [Mosca] avait atteint la cinquantaine. Cest un mot bien cruel et dont peut-tre un homme perdument amoureux peut sentir tout le retentissement.

En dehors des deuils personnels sa premire enfance est marque par les violences de lpoque rvolutionnaire et sa jeunesse par les guerres de lEmpire. La mort, il la voit nue sur les champs de bataille de lEurope : villes incendies, ventre ouvert des chevaux, blesss brls vivants, cadavres dfigurs des soldats sur lesquels passent les voitures ou que lon jette dans la rivire.

Pourtant, mme la guerre, le touriste ne perd pas ses droits. Prs dEnns, un incendie lui arrache cette notation dans son journal : A cela prs lincendie tait superbe. A Neubourg il marque encore : Le tout formait un paysage superbe. Mme curieuse joie de Fabrice Waterloo : Fabrice tait encore dans lenchantement de ce paysage curieux.

Les rflexions sur la beaut des incendies ou le spectacle insolite de la canonnade pourraient apparatre comme un divertissement grauit desthte, si elles ne dnotaient pas au contraire une volont de distanciation par rapport la guerre et ses horreurs qui ont profondment marqu Stendhal. Le got du beau lui sert ici de thrapeutique, cest un moyen doublier la mort, la peur de la souffrance qui mne la mort, et la peur den avoir peur.

Selon Mrime, Stendhal naimait pas parler de la mort, la tenant pour une chose sale et vilaine plutt que terrible.Dans Rome, Naples et Florence, lcrivain lui-mme dit quelle est un scandale abominable, et il note dans son journal : La pilule de la mort est amre, il faut que lorgueil la cache, adoucisse le got. En faisant appel lhumour par exemple. Il aime citer le mot du chevalier de Champcenetz, demandant au pied de lchafaud en 1794 si on ne pourrait pas se faire remplacer. Et dans sa prison Julien Sorel se souvient de cet autre mot de Danton que lui avait rapport le comte Altamira : Cest singulier, le verbe guillotiner ne peut pas se conjuguer tous les temps. On peut bien dire : je serai guillotin, tu seras guillotin, mais on ne dit pas : jai t guillotin.

Puisquil nest au pouvoir de personne dchapper la loi commune, du moins Stendhal nous explique-t-il - il a vingt et un ans - la mort qui lui parat la plus convenable, la plus propre, cest celle o le corps ne triomphe point, qui se passe simplement, sans souffrance, dans un beau paysage. Celle de Brutus par exemple, telle que la conte Plutarque : Sa mort prs de cette petite rivire aux abords trs levs en-del de ces grands arbres, sous le ciel trs toil de la Macdoine, prs de cette grande roche o il stait assis dabord, est la plus touchante pour moi de toutes celles que je connais. Elle a quelque chose de divin. Le corps ny triomphe point. Cest une me dange qui abandonne un corps sans le faire souffrir. Elle senvole.

Tout se passe comme si Stendhal, dans son oeuvre romanesque, avait dcid de mettre entre parenthses cette inconvenance, cette grossiret : la mort.

Il refuse de la dcrire et lexclut de son univers crateur. Ne pouvant la supprimer, il la sublime pour lexorciser. Sans doute tous ses hros meurent jeunes, presque toujours tragiquement, ou se laissent-ils mourir sils ne se retirent pas dans une chartreuse. Mais cette sortie de scne est discrte, comme dsincarne, tout se passe simplement, mme sil sagit dune excution capitale, proprement, potiquement: cest leuthanasie littraire qui est la manire de Stendhal de se rvolter contre la mort.

A loppos du christianisme, la volont paenne de Stendhal dexorciser la mort, au point mme parfois den faire une fte, apparat avec clat dans toute son oeuvre romanesque, par un phnomne de compensation en rupture avec la ralit.

Dans Armance, le suicide dOctave de Malivert, qui dnoue la tragdie, est sans doute le plus caractristique de cette euthanasie littraire. Sa mort est voulue, elle est douce, belle, exempte de souffrance, elle se passe au large de la Grce dans une nuit constelle dtoiles : Jamais Octave navait t sous le charme de lamour le plus tendre comme dans ce moment suprme ... Un mousse du haut de la vigie cria : Terre ! Ctait le sol de la Grce et les montagnes de la More que lon apercevait lhorizon. Un vent frais portait le vaisseau avec rapidit. Le nom de la Grce rveilla le courage dOctave ; Je te salue, se dit-il, terre des hros ! et minuit le 3 mars, comme la lune se levait derrire le mont Kalos, un mlange dopium et de digitale prpar par lui dlivra doucement Octave de cette vie qui avait t pour lui si agite. Au point du jour on le trouva sans mouvement sur le pont, couch sur quelques codages. Le sourire tait sur ses lvres et sa rare beaut frappa jusquaux matelots chargs de lensevelir.

Octave a choisi sa mort, mais non pas Batrix Cenci, elle, puisque meurtrire de son pre pour sauver son honneur, elle est atrocement torture avant dtre conduite au supplice. Voici pourtant en quels termes Stendhal dcrit son enterrement : A neuf heures et quart du soir, le corps de la jeune fille recouvert de ses habits et couronn de fleurs avec profusion, fut port Saint-Pierre in Montorio. Elle tait dune ravissante beaut; on et dit quelle dormait... Avec parfois, mme dans les moments les plus tragiques, un clin doeil au lecteur : Pendant quon mettait en ordre la mannaja pour la jeune fille, un chafaud charg de curieux tomba et beaucoup de gens furent tus. Ils parurent ainsi devant Dieu avant Batrix.

Voici maintenant Julien Sorel, alors quil est dans lantichambre de la mort et quil connat enfin, nous lavons vu, le bonheur et lamour. Quand il entre dans la salle o on va le juger, ce qui le frappe cest llgance de larchitecture. Et le jour de son excution marcher au grand air fut pour lui une sensation dlicieuse. Jamais cette tte navait t aussi potique, nous dit Stendhal, quau moment o elle allait tomber. Les plus doux moments quil avait trouvs jadis dans les bois de Vergy revenaient en foule sa pense et avec une extrme nergie. Tout se passa simplement, convenablement et de sa part sans aucune affectation.

Tout se passa simplement. Sauf pour Mathilde (merveilleuse Mathilde aussi) qui suivit Julien jusquau tombeau quil stait choisi, une petite grotte de la grande montagne dominant Verrires - on voit le symbole - et linsu de tous, seule sa voiture drape porta sur ses genoux la tte de lhomme quelle avait tant aim. Tout se passa simplement pour Mme de Rnal qui fut fidle la promesse quelle avait faite : Elle ne chercha en aucune manire attenter sa vie. Mais trois jours aprs Julien, elle mourut en embrassant ses enfants.

Il faut un trs grand talent Stendhal pour faire de dnouement sanglant - par une trange alchimie qui transforme la souffrance en joie, lamertume en douceur - un pome la gloire de ses hros, une espce de tragdie optimiste o lon oublie la mort pour ne retenir que leur noblesse retrouve. Tels quen eux-mmes enfin...

Mais cest peut-tre dans La Chartreuse de Parme que le romancier porte un point de perfection cette euthanasie littraire. Cllia ne survcut que de quelques mois ce fils si chri mais elle eut la douceur de mourir dans les bras de son ami. Trop amoureux et trop croyant pour avoir recours au suicide, car il espre retrouver Cllia dans un meilleur monde, Fabrice se retire la chartreuse de Parme mais ny passe quune anne. Gina, devenue comtesse Mosca, runit toutes les apparences de bonheur mais de survit que fort peu de temps Fabrice. Et cest la conclusion fameuse du roman : Les prisons de Parme taient vides, le comte immensment riche, Ernest V ador de ses sujets qui comparaient son gouvernement celui du prince Eugne.

Tout continue. La mort engendre la vie. Peut-tre le monde marche-t-il vers plus de bonheur. La tragdie se termine comme une histoire de fes douce-amre, mi-chemin de la nostalgie et de lironie. Voil comment sans tre dupe, le romancier sublime la ralit et perptue par un chef-doeuvre la destine de ses hros.

En supprimant ainsi de sa cration la mort dans ce quelle a dhorrible ses yeux, Stendhal supprime du mme coup une autre ennemie : la vieillesse. Julien, Fabrice, Octave, Cllia, Mme de Rnal meurent la fleur de lge, dans tout lclat de leur jeunesse et de leur beaut, quand leur amour est son znith. Ils ne connatront ni lusure de la passion ni le naufrage de la vieillesse. Une vieillesse qui au dbut du XIXe sicle commence cinquante ans et mme avant pour les femmes : il suffit, pour sen convaincre, de relire par exemple La Femme de trente ans de Balzac.

On comprend que Stendhal qui met Shakespeare au-desus de tout, nourrisse une tendresse particulire pour Romo et Juliette : cette histoire damour fou atteint un point de perfection dans la mesure prcisment o les hros sont frapps en pleine jeunesse, au paroxysme dune passion qui, par suite de leur diaparition mme, restera intacte ternellement, miraculeusement prserve des injures du temps. Cest lamour et la mort qui vont ici de conserve.

Permettez-moi, et ce sera ma conclusion, dessayer de dire limpression que me donnent les romans de Stendhal.

Eh bien ! malgr lhcatombe du dernier acte, on ne ressent pas, la lecture de ses romans, un sentiment dabattement ou de dsespoir. Cest encore une singularit de cet crivain singulier.

Et pourtant !

Les personnages de Stendhal, je lai dj soulign, meurent en pleine jeunesse et souvent de mort violente. Julien sur lchafaud, Fabrice dans une chartreuse, Lamiel en prison, Octave de sa propre main au lendemain de sa nuit de noces et, dans Les Chroniques italiennes, suivant la rflexion de lauteur, le hros finit ordinairement par tre dcapit.

Leurs amours sont presque toujours malheureuses ou se heurtent des obstacles meurtriers. Julien est excut pour avoir tir coups de revolver sur celle quil aime, Cllia est contrainte par les conventions sociales dpouser un homme quelle naime pas. Follement amoureux et follement aim Octave est impuissant consommer son mariage. Lamiel la rvolte trouve la mort dans un incendie avec le compagnon daventure quelle sest choisi, bandit de grand chemin. Dans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme, comme dans Les Chroniques italiennes, la prison et cet autre espace clos quest le couvent jouent un rle essentiel.

Voil bien une trange prdilection, dira-t-on, chez un crivain, qui affiche son got pour la chasse au bonheur.

Mme sil choisit comme hros des tres dexception dans des situations elles-mmes exceptionnelles - il nest pas donn tout le monde heureusement de finir sur lchafaud -, la vie est suffisamment tisse de drames quotidiens pour justifier sa dmarche. Dautant plus que, quelque belle que soit la comdie le dernier acte est toujours sanglant, comme le note Pascal. Il ny a donc pas chez Stendhal un parti pris de noircir la vie mais la volont den montrer le caractre dramatique en partant de faits rels.

Cest l quintervient ce que lon pourrait appeler la grce de lalchimie stendhalienne, la tragdie reste optimiste cause sans doute de ce quelle recle de confiance en lhomme.

On regrette la mort de ces hros rveurs, tendres et violents, mais on est heureux de les avoir connus. Les prudents ont dur, les passionns ont vcu, remarquait un moraliste du XVIIIe sicle. Julien, Fabrice, Lucien, chacun dans son registre particulier, ont eu une vie brve mais pleine, ardente, gnreuse et, au-del des diffrences de situation, ils ont en commun de pouvoir se dire au moment du bilan quils nont pas avoir honte deux-mmes. Si on sen tient aux normes de la russite banale, ils ont connu lchec - Julien ne sera quun instant comte de la Vernaye, Fabrice ne deviendra pas un haut dignitaire de lEglise et Lucien ne succdera pas son pre, banquier puissant -, mais les compromissions de la socit nauront pas de prise sur eux. Ils resteront intacts, libres de toute ambition subalterne.

Dans les circonstances les plus tragiques, ils chappent au dsespoir par leur curiosit de la vie, la violence de leur passion, leur amour du beau et cette aptitude au bonheur qui est une forme de lnergie vitale mais qui a naturellement pour revers une gale vulnrabilit la souffrance. Ainsi chez Stendhal mme la souffrance est-elle tonique. Elle est un moment de la vie, mais non pas sa condamnation. Elle est souvent en amour la ranon invitable du bonheur.

Andr Gide remarquait quil ne suffit pas de bons sentiments pour faire de la bonne littrature. En quoi, sil avait en vue la littrature difiante, il avait parfaitement et totalement raison. Stendhal semble pourtant lui donner tort car ses hros sont habits par les bons sentiments.

A condition de sentendre sur la signification du mot et de navoir pas peur de ceux par qui le scandale arrive, les critres stendhaliens risquant en effet de choquer quelque peu les amateurs de vertus ordinaires. comme nous en prvient ironiquement lauteur, dans lavertissement de La Chartreuse de Parme : Javouerai que jai la hardiesse de laisser aux personnages les asprits de leurs caractres; mais en revanche, je le dclare hautement, je dverse le blme le plus moral sur beaucoup de leurs actions ... Cette histoire nest rien moins que morale et maintenant que vous vous piquez de puret vanglique en France, elle peut vous procurer le renom dassassin.

Souvenons-nous. Par amour dune belle duchesse et de la Rpublique, un pote carbonaro tue le prince de Parme. Un plbien rvolt abandonne sa femme et blesse sa matresse coups de revolver. Un Premier ministre conspire contre son roi pour plaire celle quil aime. Un jeune prtre simoniaque commet le pch de chair avec une marquise mal marie. Une patricienne romaine devient meurtrire de son pre qui a abus delle. Sans faillir apparemment lhonneur, le fils dun banquier excute les basses besognes dun ministre de Louis-Philippe. Pour ne rien dire de la duchesse de La Chartreuse, un peu incestueuse, et de labbesse de Castro un tout petit peu enceinte.

On pourrait croire quil sagit des vagabondages dune imagination dprave si le romancier navait pas emprunt ses sujets la Chronique historique ou la Gazette des tribunaux. Quoi quil en soit, il y a l, reconnaissons-le, de quoi soulever dune juste indignation les prtres de la morale traditionnelle.

Pourtant nous sommes loppos du roman noir.

En fait, ces personnages apparemment scandaleux sont des femmes et des hommes dhonneur et la bassesse leur est trangre. Ils ont lhypocrisie en horreur et sont prts sacrifier intrt, fortune, ambition lamiti, lamour ou mme une certaine ide quils se font deux-mmes.

A la fin du Rouge et Noir, quand son confesseur vient demander au hros de se convertir avec clat, car ce serait un moyen sr dobtenir sa grce, il sattire cette fire rponse du condamn mort qui ne veut pas devoir son salut au mensonge : Et que me restera-t-il, rpondit froidement Julien, si je me mprise moi-mme ? ... Je me ferais fort malheureux si je me livrais quelque lchet.

A Sainte-Beuve, qui estimait que La Chartreuse tait un livre immoral, on opposera le jugement de ceux qui avec plus de raison croient distinguer dans loeuvre stendhalienne une ligne de partage trs nette entre le bien et le mal, les hros se situant du ct de la vertu, mme sil sagit, je lai dj not, dune vertu singulire et scandaleuse. Se foutre compltement de tout, except de sa propre estime. Cette exigence souvent exprime par lauteur est perceptible chez tous ses hros, pour peu quon gratte au-del de lpiderme. Cest ainsi que le philosophe Alain remarque: Comme si dans les trois fameux romans, et partout, le bien et le mal ntaient pas spars comme le ciel et lenfer, et comme si Julien Sorel ntait pas au ciel, au lieu que lhypocrite Tambeau est lenfer mme !

Encore un trait spcifique Stendhal : ce psychologue expert dans lexploration du coeur humain ne craint pas de nous ramener ce quil considre comme le choix dcisif : tre ou ne pas tre un salaud. En vertu de ce manichisme qui chappe lui aussi au manichisme ordinaire - de mme que sa conception de la vertu se situe au-del du bien et du mal -, les personnages de ses romans se partagent en deux grandes familles : ceux qui ont lme noble et les autres. Mais ce que Paul Valry disait de la btise, Stendhal aurait pu le dire de lignoble : ce ntait pas son fort. Il ne se complat pas dans la peinture des fripouilles et des mdiocres et en cela il est loppos du naturalisme et mme loin de Balzac ou de Flaubert. Il se contente dexcuter dun mot ces fcheux, mais lvidence il supporte mal leur compagnie et prfre retourner le plus possible ses chers happy few.

Stendhal est n trop tt, assez cependant pour savoir comme Saint-Just quavec la Rvolution franaise le bonheur est devenu une ide neuve en Europe. Si cette grande esprance va au rythme de lHistoire, cest--dire pas lents, si la Rpublique des sans-culottes, victorieuse des princes Valmy, a dbouch sur lEmpire et la monarchie de Juillet, il nen reste pas moins au fond du coeur fidle ses premires amours jacobines. Sil sintresse la politique, lui lgotiste, cest parce quil la considre comme une technique de la recherche du bonheur en socit, du bonheur pour le plus grand nombre. Les temps ne sont pas encore venus et le sicle est celui de largent roi qui rige de nouveaux empires et emprisonne les mes. Mais Stendhal na jamais oubli les enthousiasmes de sa jeunesse et il crit en 1837 lge de cinquante-quatre ans : Que le lecteur sil a moins de cinquante ans veuille bien se figurer, daprs les livres, quen 1794, nous navions aucune sorte de religion; notre sentiment intrieur et srieux tant tout rassembl dans cette ide : tre utile la patrie... Dans la rue nos yeux se remplissaient de larmes en rencontrant sur le mur une inscription en lhonneur du jeune tambour Bara !...

Lindividu peut aller la chasse au bonheur et le trouver un moment dans lamour ou le plaisir, celui des sens, celui que donne le rve, les arts, la musique, la rencontre avec un paysage sublime ou la compagnie des mes sensibles. Mais ce bonheur a ceci de singulier quil ne peut jamais totalement ignorer le monde extrieur ni supporter linjustice qui frappe les autres. Ainsi Fabrice dans La Chartreuse alors quil vient de connatre auprs du lac Majeur un moment de joie privilgi, sinterroge sur les faveurs dont il bnficie de la part du tyran de Parme. Bien quil sefforce de plaider sa cause en jouant les cyniques : Puisque ma naissance me donne le droit de profiter de ces abus, il serait dune indigne duperie moi de nen pas prendre ma part, il le fait sans conviction et le charme est rompu : Ces raisonnements ne manquaient pas de justesse; mais Fabrice tait bien tomb de cette lvation de bonheur sublime o il stait trouv transport une heure auparavant. La pense du privilge avait dessch cette plante toujours si dlicate quon nomme le bonheur.

Cette plante si dlicate quon nomme le bonheur. Elle ne tolre pas lexistence de linjustice. Elle se dessche si elle ne fleurit pas aussi pour les autres. Nest-ce pas l un curieux gotisme chez un homme ce point tranger lide de Dieu, conscient de la fuite du temps, avide de jouir des plaisirs terrestres et de cueillir le bonheur quand il passe.

La vie senfuit, ne te montre donc point si difficile envers le bonheur qui se prsente, hte-toi de jouir. Curieux gotisme qui se laisse sduire par laride philosophie de lutile et ne peut supporter de fonder sa propre russite sur le malheur dautrui : Il avait en excration, dit-il de Fabrice, de faire le malheur dun tre quelconque, si peu estimable quil ft.

Stendhal est un crivain qui interpelle lavenir. Sil est contre-courant de son temps, au lendemain de lcroulement des rves de 1789, cest quil est en avance sur lui et quil se trouve, pour reprendre un mot dAragon, dans la lumire de lhistoire.

Dj il faisait scandale dans le salon de la comtesse Daru o on le regardait, dit-il comme on regarde un baril de poudre, sans doute parce que ses ides sur la politique, la royaut, la religion, la morale composaient un mlange quon pourrait qualifier dexplosif. On ne stonnera pas que Metternich, dont la police le filait, lait jug indsirable Trieste. Non pas quHenri Beyle ait vraiment conspir. Mais aux hommes du pouvoir ses ides apparaissaient, non sans quelque raison, comme subversives.

Fonctionnaire royal Civitavecchia, il ignore lobligation de rserve des diplomates au point deffrayer parfois ses interlocuteurs : Il veut parler librement, constate lun dentre eux, les pauvres Romains, qui ont une peur horrible de se compromettre ... se bouchent les oreilles et senfuient. Il pressent que la monarchie de Juillet sera passagre et le dit : Combien de temps encore croyez-vous pouvoir arrter ce torrent ?

Contre lhypocrisie de la morale rgnante il ne perd pas une occasion de rhabiliter la sensualit, au risque de choquer les gardiens de la vertu : Je soigne mes plaisirs, dit le marquis de La Mole, et cest ce qui doit passer avant tout, du moins mes propres yeux.

Dans Souvenirs dgotisme Stendhal nous livre cette confidence fort immorale : M. de la Fayette, dans cet ge tendre de soixante-quinze ans, a le mme dfaut que moi. Il se passionne pour une jeune Portugaise de dix-huit ans qui arriva dans le salon de M. de Tracy, o elle est lamie de ses petites-filles ... Sa gloire europenne, llgance foncire de ses discours ... Ses yeux qui saniment ds quils se trouvent un pied dune jolie poitrine tout concourt lui faire passer gaiement ses dernires annes.

Il y a l, reconnaissons-le, de quoi faire frmir dindignation ou denvie les aptres de la philosophie du dsenchantement. Mais Stendhal, si sensible pourtant au tragique de la vie, refuse le gmissement perptuel. Il le juge inconvenant et ridicule.

Sil na pas le sens du pch, il a par contre celui du devenir historique. Je serai lu en 1930, avait-il pronostiqu, et il voyait juste. Cest parce quil a compris profondment son temps quil est devenu un crivain de tous les temps. Ce qui est admirable chez lui cest cette prescience qui le conduit, comme le remarque Nietzsche, tre si fort en avance sur son poque, plaider pour la libration de la femme un moment o les femmes elles-mmes y pensent peu, entrevoir quun jour la peine de mort sera abolie, dnoncer la tyrannie de largent, se faire, lui lgotiste, le dfenseur de cette morale simple qui nappelle vertu que ce qui est utile aux hommes, annoncer les exigences et les temptes des temps modernes. Comme le dit labb Blans Fabrice : Tche de gagner de largent par un travail qui te rendre utile la socit. Je prvois des orages tranges; peut-tre dans cinquante ans ne voudra-t-on plus doisifs. Et comme le note lcrivain lui-mme : Les riches devront bientt chercher leur scurit dans labsence de dsespoir chez les pauvres.

Pour toutes ces raisons et pour quelques autres, parce quil rejette la tyrannie et lobscurantisme, parce quil rve les yeux ouverts, parce quil a cette allgre insolence qui devient une vertu quand elle sadresse aux puissants, parce quil croit en lhomme sans tre dupe, parce quil sintresse aux autres sans ostentation, parce que ce dilettante ne cesse dtre hant par la recherche du bonheur pour le plus grand nombre, parce quil aspire des temps nouveaux, parce que sa peinture du tragique de la vie chappe au scepticisme et au dsespoir, Stendhal me parat appartenir, comme lobservait Hugo propos de Balzac la forte race des crivains rvolutionnaires.

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